16 avril 2018
48h pour développer un projet de média : immersion au sein du Media Mix Week-end
Les 13, 14 et 15 avril se tenait à Nantes le Media Mix Week-end. Ce temps fort de l’incubateur NMcube, dédié à l’entrepreneuriat dans les médias, a rassemblé au Mediacampus une quinzaine de participants et une quinzaine de coachs et de mentors dans le domaine des médias et du journalisme, de la communication et du marketing, du développement web et du design. Leur défi ? Faire émerger des projets de média en 48h.
Le Media Mix Week-end est un challenge entrepreneurial dans le secteur des médias. Ils s’adresse à des professionnels ou des étudiants au stade de l’idée. Encadrés par des coachs de l’incubateur NMcube et de mentors, les participants forment des équipes pluridisciplinaires et vivent en accéléré toutes les étapes nécessaires au développement d’un projet.
Au coup d’envoi du Media Mix Week-end, les porteurs d’idées tentent de convaincre les autres participants de faire équipe avec eux. Armés de post-it, chacun vote pour le projet auquel il souhaite contribuer.
Quatre idées sont retenues au début du week-end : l’une porte sur la réalité augmentée, une autre sur les podcasts. Deux médias de niche fédèrent également les troupes : l’un porte sur le football américain, l’autre, sur les adolescents et la culture juvénile.
Ce reportage audio vous propose une immersion sonore au sein du Média Mix Week-end et vous propose d’aller à la rencontre des participants.
Adopter une vision commune et challenger son projet
Très vite, les équipes entrent dans une phase d’idéation créative pour définir collectivement le projet dans ses grandes lignes. De quoi parle-t-on ? Quelles sont les thématiques, les lieux et les personnes mis en avant ? Sur quelles plateformes va-t-on diffuser ce contenu ? À qui parle-t-on ? Quel est le profil du public visé ? Ses usages et son rapport à l’information ? Quel est l’impact recherché ? Quelle est la finalité du projet ?
Parce qu’une idée est d’autant plus solide qu’elle a été testée et évaluée auprès de personnes extérieures et d’experts, de nombreux mentors accompagnent aussi les équipes. Des professionnels des médias spécialisés dans la R&D, le management, la monétisation, la gestion de projet ou encore l’animation de communauté ont répondu présents pour accompagner les équipes en se basant sur leur propre expérience.
C’est le cas de Jean-Joseph Lattuada, responsable de projets chez Ouest-France, qui apporte son expertise et les accompagne dans cette première phase d’idéation.
“On est à la genèse du projet, on participe aux premiers travaux qui sont les plus importants : faire germer l’idée, trouver le public, le quoi, le comment, le où.”
Jérôme Bouchacourt, fondateur de FootAmateur et Laurence Aubron, directrice d’Euradio, font tous les deux partie de la première promotion d’incubés NMcube. Le samedi matin, ils passent aussi dans les équipes pour réfléchir avec les participants aux actions à mener.
En plein échange avec l’équipe qui imagine le nouveau média de référence sur le football américain en France, ils pointent du doigt l’importance de fédérer une communauté.
“Il faut aller chercher les étudiants français qui jouent au foot dans les universités pour en faire des ambassadeurs” explique Laurence. “Tu peux contacter les joueurs via les réseaux sociaux et leur poser des questions. Moi je l’ai fait avec des joueurs de foot aux US et ça marche super bien” conseille Jérôme, éditeur d’un site 100% dédié à l’actu du foot amateur.
“La particularité des médias de niche comme celui sur le football américain en France est que l’on s’adresse à une base d’utilisateurs très restreinte et une communauté assez forte : on joue le rôle de celui qui consolide tout ça, qui met en forme, qui fait émerger et qui diffuse les contenus, les scores, les histoires… Sur une mécanique de monétisation, il y a des bonnes idées à prendre, que ce soit via les sponsors ou via du financement participatif” analyse Jean-Joseph Lattuada.
En plus de donner des conseils et de jauger le potentiel des idées, coachs et mentors cherchent à partager des références et donner des points de repère aux participants. Mais leur rôle sur le week-end est aussi de challenger les équipes, de valider ou non leurs intuitions et de pousser les participants dans leur retranchement.
Pour la plateforme d’exploration de podcasts citoyens et de radios associatives, la proposition de valeur mérite d’être affinée explique Nicolas Kayser-Bril, datajournaliste et entrepreneur dans les médias, à l’équipe qui porte le projet.
“Quel est l’intérêt pour l’utilisateur final de ne pas passer par un agrégateur de podcast général, pourquoi se limiter aux radios associatives ?” Vincent Loiseau, porteur de l’idée, explique qu’il s’agit d’un parti pris. “C’est une question d’exposition. Aujourd’hui, on ne laisse investir le monde numérique que par des gens qui ont une opportunité commerciale.” “Alors, vous devriez commencer par là : votre projet, c’est de mettre en valeur des contenus qui se font écraser par les autres”, lui répond Nicolas.
Du côté du projet de média destiné aux parents d’ados, les participants s’interrogent sur les canaux de diffusion. Malgré une orientation de l’équipe vers un média numérique, Julien Pierre, coach du Media Mix Week-end et enseignant-chercheur à Audencia Business School, incite les membres de l’équipe à se poser les bonnes questions : “D’après vous, que produirait l’apparition du magazine dans le foyer ? Quel dialogue pourrait-il y avoir autour de ça ? Est-ce que si c’est du web, on ne passe pas à côté de quelque chose ? Si l’objectif de votre média est de rapprocher parents et enfants, est-ce qu’on ne va pas aller sur du matériel ?”
Jean-Joseph Lattuada met de son côté en garde l’équipe du projet FutuRA, qui souhaite proposer des expériences numériques in situ pour explorer le futur : “La réalité augmentée, pour ce que j’en ai vu jusque là et au-delà de l’effet Wahou, j’y vois un frein à l’usage car c’est hyper isolant. C’est quand même un usage un peu particulier.”
Le responsable de projets chez Ouest-France interpelle aussi l’équipe sur la proposition de valeur : “Réfléchissez à ce qui vous apporte le plus de valeur. C’est pas la techno, c’est raconter l’histoire. Vous avez peut-être derrière vous un prestataire qui s’occupe de la techno.”
Du point de vue du mentor, la difficulté de l’exercice est de savoir où mettre le curseur : “Nous, on est confrontés à ces questions au quotidien et la tentation est grande de les mettre en garde contre ce qui ne marche pas mais il faut faire attention à pas trop les brimer. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas su le faire qu’eux-mêmes n’y arriveront pas. Nos organisations ne sont pas les mêmes.”, explique Jean-Joseph Lattuada.
Confronter son projet au marché
Après avoir défini le média dans les grandes lignes et cerné sa proposition de valeur, place à l’étude de marché et au choix du modèle économique. L’objectif est ici de s’assurer que l’on répond bien aux attentes et à la demande d’un public existant, de tester l’idée, d’obtenir du feedback et positionner le projet sur son marché.
Hervé Barbot, directeur de recherche et développement au groupe SIPA Ouest-France, explique aux participants la méthode à adopter : “Là, il faut vous séparez dans l’équipe pour aller chercher des exemples de ce qui existe déjà. Tester votre proposition de valeur pour voir si ça répond à un problème et puis après, il y a le modèle économique. La méthode canva c’est pour poser les choses et vous permettre ensuite de les étayer et les corriger.”
Les équipes passent des appels et organisent des visioconférences avec de potentiels partenaires, clients, annonceurs et financeurs. Ils scrutent les pages de leurs concurrents, directs et indirects. Décryptent les stratégies des projets qui les inspirent. Réalisent des études de cas et des benchmarks.
Au fur et à mesure, les feuilles s’empilent sur les paperboards, les carnets de post-its diminuent à vue d’oeil. On raye des mots-clés sur les mind mappings, on rajoute des bulles, on dessine des flèches pour visualiser les connections.
L’équipe du projet FutuRA pensait d’abord corréler une application ludique à une page de PQR et proposer des suppléments à des partenaires presse. En somme, créer des passerelles entre un contenu informationnel et ludique. Mais pour quel modèle économique derrière ? “On imaginait qu’un annonceur finance entièrement le supplément et l’appli”, résume l’un des participants, un peu perplexe.
Finalement, l’équipe propose à des annonceurs des expériences immersives pour leurs clients afin d’explorer un futur avec une intrigue in situ, lors d’un événement particulier, comme un salon professionnel.
“On a évalué tous les possibles, on est partis dans toutes les directions.”
“Les projets ne cessent d’évoluer. Les participants confrontent leurs idées aux autres membres de l’équipe, aux coachs, aux mentors mais aussi et surtout au public, à des clients potentiels qui demain peuvent devenir abonnés ou à des annonceurs qui vont leur acheter de l’espace publicitaire. Le feedback permet d’ajuster ou de pivoter, de changer de stratégie. Il y a des équipes qui ont changé 5 ou 6 fois d’angles d’attaques dans la journée.”, raconte Julien Kostrèche, coach sur le week-end et directeur du cluster Ouest Médialab.
Marc Bourhis, journaliste et porteur du projet FutuRA résume : “on a évalué tous les possibles, on est partis dans toutes les directions. On a eu des conseils dans un sens puis dans un autre. Moi, je vois ça comme une phase d’exploration. Il faut confronter son projet dans plusieurs directions pour être sûr que l’une d’elles ne va pas être la bonne.”
Vincent Loiseau lui, a deux passions dans la vie : le marketing digital et la radio, qu’il pratique en amateur. Ce qu’il retient de ce challenge entrepreneurial, c’est la prise de recul sur le projet et son appréhension du point de vue de l’utilisateur. “L’apport des mentors est un peu désarmant par moment mais il y a des choses hyper intéressantes qui ont été remontées. On est dans une phase exploratoire. Cette expérience va me permettre de prendre mon bâton de pèlerin à l’issue du week-end et d’aller voir les producteurs de contenus pour discuter avec eux de quelque chose qui a été challengé, discuté, nourri par des utilisateurs.” se réjouit-il.
Delphin, designer dans une agence de communication à Paris et porteur du projet Football+7 sur le foot américain constate que son idée s’est affinée. “On a pu évacuer certaines idées et en préciser d’autres. Le Media Mix Week-end me permet de confronter au réel ce que j’avais imaginé.”
Passer par toutes les phases du développement de projet en 48h
L’objectif du Media Mix Week-end est de proposer un condensé de toutes les étapes de développement d’un projet, de la phase d’idéation créative au business model canva, en passant par la proposition de valeur, l’étude de marché, le benchmark et l’ébauche d’un budget prévisionnel pour connaître les principaux coûts et recettes de son média.
“En un week-end, on passe par toutes les phases de développement d’un projet, qu’on propose normalement sur 12 mois dans le cadre de l’incubateur d’NMcube” explique Julien Kostrèche, directeur du cluster Ouest Médialab, pilote de l’incubateur.
“Sur la fin du Media Mix Week-end, on sort du bois, on quitte le terrain de l’idée pour aller sur le projet : on créé une landing page pour que les personnes laissent leur adresse email, on crée une présence sur les réseaux sociaux, on prépare son pitch.” En somme, on pose les bases pour ne plus rester au stade de l’idée et la concrétiser. “Certains continueront sans doute l’aventure au-delà du week-end, et, qui sait, nous les retrouverons peut-être parmi les candidats qui souhaiteront intégrer la 2ème saison de l’incubateur NMcube !” conclut Julien Kostrèche.
“On ne résout pas toutes les questions mais on avance très rapidement.”
“La pression du temps nous oblige à aller vite et à ne pas tourner autour du pot pendant des heures. Il faut agir vite. Prendre des décisions.” explique Gaëlle Hautbois, participante, qui perçoit tout l’intérêt de ce type d’exercice. Pour Marc Bourhis, un condensé de toutes ses étapes à franchir quand on est entrepreneur permet d’aborder tous les aspects du projet et tout la complexité liée aussi bien à la technique, qu’à l’économie ou à l’éditorial. “On ne résout pas toutes les questions mais on avance très rapidement.” constate le porteur du projet FutuRA, sur la réalité augmentée.
“Quand on voit ce qu’on peut faire en 48h, on réalise que sur un an ça peut vraiment nous emmener loin” explique Pascal Couffin, porteur du projet de médias pour les parents d’ados.
Chercher l’émulation collective et encourager les connexions
Pour Nicolas Kayser-Bril, il est possible de démarrer un média comme une activité secondaire et de fédérer une communauté autour de ça. Et l’entrepreneuriat dans les médias, ça lui parle. Nicolas a notamment participé à la création du média innovant OVNI et d’une agence de datajournalisme en Europe qu’il a dirigé pendant 6 ans, Journalism++.
“Il y a énormément de développeurs informatiques, de designers, de photographes qui vont être prêts à donner un peu de leur temps dans cette communauté-là. Et de fil en aiguille on peut se retrouver à fédérer une communauté de 1 000, 5 000, 10 000 personnes. C’est tout à fait possible d’entreprendre dans les médias mais il ne faut pas croire que ce sera facile.”
Le Media Mix week-end est aussi l’occasion de rencontrer d’autres professionnels aux profils complémentaires et qui pourront peut-être par la suite être de futurs collaborateurs ou partenaires. “Après le week-end, je serai seul à porter le projet car mes co-équipiers ont déjà leur activité mais je pense que je referai appel à eux. Ils sont des spécialistes de la vidéo et pourront bien m’aider sur ce projet. Je suis content de les avoir rencontré” nous confie Delphin, porteur du projet sur le football américain.
La complémentarité des profils au sein même des équipes permet à elle seule de nourrir le projet en croisant les regards. “Mes co-équipiers n’ont pas d’approche professionnelle de la radio mais une approche utilisateur, qui nous a beaucoup servi pour développer ce projet” raconte Vincent, porteur du projet Podast Libre.
Cette émulation collective, c’est aussi ce que venait chercher Pascal Couffin en participant à cette aventure. Pour ce responsable communication porteur du projet “Hein?!”, la multitude de points de vue est essentielle. “Ça bouscule. Je vais en retenir pas mal d’éléments de réflexion, des choses qui pourront être transposées dans mon métier et même de nouvelles pistes à explorer.”
Après l’ultime étape du pitch final, le jury de sélection délibère. Il est composé de Michel Barthen, directeur régional de France 3 Pays de la Loire et président de Ouest Médialab, Sophie Maitrallain, responsable développement économique à la Creative Factory By Samoa, Estelle Prusker, responsable de la spécialisation médias à Audencia Sciencescom, Jeanpierre Guédon, enseignant-chercheur à Polytech – Université de Nantes et de Pierre Dickinson, fondateur de MusicData et incubé NMucube. C’est le projet du média “Hein?!” qui décroche sa place au sein de l’incubateur pour la deuxième saison.
L’équipe du média pour ados n’en revient toujours pas. “Au début, c’était foisonnant de contradictions mais on a réussi à se mettre d’accord” constate Emmanuel. “Moi, j’étais en dehors de ma zone de confort. Jamais je me serais crue capable de faire ça” déclare Soufia. “C’est vrai que ça puise dans les ressources !” reconnaît Pascal. “Mais au fait, on va boire un verre pour apprendre à mieux se connaître ?” suggère Gaëlle qui s’amuse de cette prise de conscience à l’issue des 48h.
Ils sont arrivés le vendredi soir à 18h. Personne ne savait à quelle sauce il allait être mangé, à quel projet il allait contribuer, ni avec qui il allait réduire ses neurones en bouillie et déployer toute son énergie sur un week-end. Ils l’ont fait. Défi relevé pour ces 4 équipes qui nous ont toutes impressionnées.
Un grand bravo à tous ! Et longue vie aux médias.
Le Média Mix Week-end, temps fort du programme d’incubation NMcube soutenu par le Ministère de la Communication et de la Culture dans le cadre du Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse, est soutenu par Nantes Métropole.
Ils ont aussi participé à ce week-end comme coachs ou mentors : Denis Vannier, chef de projet à Ouest Médialab ; Anne-Sophie Novel, éco-journaliste freelance et co-fondatrice de la Revue Far Ouest et The Place to B ; Gilles Danet, responsable du développement des contenus numériques au Télégramme ; Valérie Claude-Gaudillat, directrice de l’innovation à Audencia ; et Estelle Prusker, responsable de la spécialisation médias à Audencia SciencesCom.
Les pitchs des 4 projets :
Photos : Denis Vannier