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23 mars 2017

Comment les professionnels imaginent la radio de demain ?

Les Assises du journalisme 2017 de Tours ont consacré un atelier à l’avenir de la radio où il a beaucoup été question de l’intérêt de la vidéo, mais aussi des podcasts, des médias sociaux, des nouveaux formats et de la publicité. Autour du micro : Philippe Antoine, directeur de la rédaction de RMC, Erwann Gaucher, directeur du numérique à France Bleu, Claire Hazan, rédactrice en chef vidéo et nouveaux format sur Europe 1, Joël Ronez, co-fondateur de Binge et Pascal Clark, co-créatrice de BoxSons.

Erwann Gaucher a ouvert les débats en rappelant à ceux qui pouvaient encore en douter que les auditeurs des locales du réseau sont bien connectés. « J’ai un scoop, a-t-il ironisé, même en province les gens ont des smartphones ». France Bleu développe donc logiquement sa présence numérique et de nouveaux contenus. « La vidéo n’est pas l’alpha et l’oméga, mais on ne s’interdit pas de faire du Facebook live et de bidouiller, comme l’ont toujours fait les gens de radio ».

La vidéo se justifie notamment pour les concerts en studio d’un Vianney ou d’un Cabrel, là où il y a une vraie valeur ajoutée à filmer. Les sujets sonores peuvent à l’occasion être enrichis avec de l’image, de l’illustration, des données en temps réel. Les équipes de France Bleu testent aussi le son binaural sur des contenus immersifs. Erwann Gaucher a aussi souligné que la taille des équipes – en moyenne 7 journalistes sur une locale du réseau – conduit forcément à faire des choix car il n’est pas possible d’être sur tous les supports. « Ne vous emmerdez avec Twitter, ça ne ramène pas un auditeur » lâche-t-il aujourd’hui à ses équipes, lui qui fait pourtant partie des twittos de la première heure.

« Ne vous emmerdez avec Twitter, ça ne ramène pas un auditeur » – Erwann Gaucher, France Bleu

« L’audience digitale d’Europe 1, c’est 10 millions de personnes par mois et 70% ne sont pas des auditeurs de la radio ». Claire Hazan est venue avec ses chiffres. Elle estime que penser les contenus pour les médias sociaux est devenu indispensable. Les contenus vidéos sont donc très prisés par Europe 1, d’autant que la publicité est plus rentable et plus qualitative sur ce type de contenus. Autre enjeu : les podcasts. Europe 1 c’est 11 millions de podcasts par mois, avec en tête les humoristes Jérôme Commandeur ou Canteloup bien sûr, mais également des émissions sur l’histoire ou les affaires judiciaires. Claire Hazan et son équipe s’apprêtent à développer des podcasts spécifiques pour le web, convaincus aussi qu’il existe un modèle de sponsoring intéressant sur le podcast en général et ce type de contenus en particulier.

Pascale Clark, aujourd’hui aux commandes de BoxSons, a voulu recentrer le débat sur le son. « Jusqu’à nouvel ordre, la radio c’est le son et on a trop tendance à l’oublier » a-t-elle insisté tout en se demandant qui pouvait bien aujourd’hui regarder une matinale radio filmée. Pas d’émission en studio chez BoxSons, ni d’humoriste, mais des reportages sur le terrain, parfois feuilletonnés, toujours enregistrés avec des Nagra.

boxsons

En attendant la version finale du site web, les podcasts de BoxSons sont disponibles sur Soundcloud.

 

La journaliste revendique le droit d’aller au bout des choses « en se faisant plaisir », d’essayer de toucher tout le monde, « les jeunes comme les vieux ». Elle a fait part de son allergie totale à la publicité, ajoutant que ça lui faisait mal de voir la pub se développer sur le service public. Pas de pré-roll donc sur les podcasts de BoxSons, qui a fait le choix d’un financement par l’abonnement.

« La radio c’est d’abord le son et on a trop tendance à l’oublier » – Pascale Clark, BoxSons

Des choix très éloignés de ceux de RMC, représenté aux Assises du journalisme par Philippe Antoine, pour qui « on peut continuer à faire de la radio en ajoutant l’image ». Aucun risque non plus de « cannibaliser les programmes télé de RMC en filmant la radio », a assuré le directeur de la rédaction de la station. Les équipes de RMC travaillent donc régulièrement avec des smartphones pour tourner des vidéos. Philippe Antoine, qui a déjà embauché 10 personnes pour étoffer sa rédaction, s’est dit convaincu par cette approche bimédia qu’il considère aussi comme un atout pour les journalistes : en devenant bi ou tri qualifiés, ils ajoutent des cordes à leur arc et auront un avantage sur les autres s’ils doivent demain chercher un autre boulot. La radio dans 10 ans ? Le directeur de la rédaction de RMC a avoué que ses gamins n’écoutaient pas du tout la radio et conclu sur l’absolue nécessité de « reconquérir la jeune génération qui s’informe que par les réseaux sociaux » et pour qui une actu sans image est une actu qui n’existe pas.

“Pour les jeunes, une actu sans image est une actu qui n’existe pas” – Philippe Antoine, RMC

Ancien responsable numérique de radio France, Joël Ronez explore a aujourd’hui un nouveau média radiophonique, Binge Audio, qu’il a co-fondé en 2015. Sa petite entreprise fabrique des série comme Super Héros, 12 épisodes de 10 minutes sur un récit de vie , très écrit, avec photo, habillage graphique, etc. « 100% des auditeurs écoutent les épisodes jusqu’au bout » s’est-il réjouit, et « peu importe où ils l’écoutent ». Binge, c’est environ 100 000 écoutes par mois sur l’ensemble des programmes proposés, selon les chiffres statistiques fournis par l’outil Podtrac. Difficile d’ailleurs de mesurer son audience numérique pour ces radios nouvelles génération car pour l’instant, a expliqué Joël Ronez, « il n’y a pas de mesure de l’audio parlé » sur laquelle tout le monde soit d’accord (le Geste y travaille). On estime à 50 millions en janvier 2016 le nombre de podcasts à Radio France, contre 8 millions 4 ans plus tôt (et sur un total de 100 millions en France par mois). On sait aussi que 80% des écoutes se font sur iTunes. Joël Ronez s’est dit confiant pour l’avenir de la radio tout en soulignant un vrai paradoxe : « ce qui fait la force de la radio, c’est aussi sa faiblesse : c’est un média qui fédère en broadcast alors que le numérique tend vers le personnalisé, les aspérités, le do it yourself ».

Lire aussi : Comment RMC relève le défi du bimédia radio-TV (article réservé aux adhérents du cluster)